Il y a une solidarité entre bretons similaire aux manchots (ceux qui sont nés dans le département de la Manche !)
Après un engagement politique, il est embauché aux Éditions Larousse, puis dirige les Editions de la Table Ronde.
En 1978, il fonde sa propre maison d’éditions. Très vite, il publie 14 livres les meilleures années, et 10 les moins bonnes.
Point culminant, le fameux livre « Au nom d’Ousama Ben Laden » de Roland Jacquard, paru, hasard du calendrier, quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, traduit en 29 langues.
Que demander de plus pour un éditeur indépendant qui n’a pas sa langue dans sa poche.
Il « baragouine » librement.
Ami des bretons Jean Edern-Hallier et Vincent Bolloré entre autres, il était riche d’amis, ce menhir en granit de Bretagne !
Vie riche et intéressante, jusqu’à un accident vasculaire cérébral vers ses 80 ans, qui le laisse handicapé sur la moitié gauche de son corps, mais préserve toutes ses facultés mentales.
Vous n’aviez pas intérêt à vous répéter, il vous reprenait instantanément :
« Tu l’as déjà dit… tu te répètes ! »
C’est dans ce contexte que je le rencontre dans une pizzeria boulevard Voltaire à Paris, non loin de son domicile.
Auteur d’un roman policier d’un nouveau genre, je n’avais pas voulu écrire un « banal » roman policier de plus, il me fallait du nouveau, c’est ce que j’avais fait.
Je lui avais envoyé mon manuscrit une semaine plus tôt.
J’en avais précédemment envoyé une cinquantaine, j’avais reçu moins de 10 réponses, toutes en mode automatique… et négatives.
Je ne m’en étonnais pas, les manuscrits reçus par ces éditeurs ne sont même pas lus. Ils atterrissent, c’est le cas de le dire, en un vol même pas plané, dans la benne à ordures…
Normal. Normal ? Oui et non.
Ne leur jetons pas le caillou, c’est compréhensible certes, car tout ce que ces éditeurs reçoivent n’a vraiment, il faut être honnête, aucun intérêt, quel que soit le genre.
Lire les trois premières pages d’un manuscrit suffit pour constater la nullité de l’auteur en question.
Ce n’est même pas voler pas haut, ça ne décolle même pas.
Mais faut-il encore lire ces trois pages…
Non ! Les seules lectures faites sont celles sur recommandation. C’est tout le défaut de nos sociétés où seul le piston, le relationnel, l’intérêt financier comptent. Le talent n’a plus rien à voir.
On reçoit le copain au détriment de l’inconnu pourtant meilleur. C’est devenu une société de copinage.
Déception, oui, déception, jusqu’à enfin ce qu’un éditeur qui mérite ce nom lise mon manuscrit du début jusqu’à la fin, et me dise honnêtement : « J’ai trouvé votre roman original, intéressant, il accroche le lecteur jusqu’à la fin. »
Que demander de plus ?
Enfin un éditeur qui a joué le jeu. Bravo et merci Jean Picollec !
Pour moi, tennisman, c’était « jeu, set et match ». Partie gagnée, avec cette fois deux gagnants, l’éditeur et l’auteur.
Nous avons banalement commencé par du « monsieur », du vouvoiement, pour finir par tutoiement et échange de prénoms. Je l’appelais à n’importe quelle heure, même le dimanche, lui de même.
Bien sûr il a grignoté mon manuscrit, j’en ai ravalé ma salive. Il y a eu au total pas moins de huit relectures de A à Z, minimum… minimum 3h30 sur le gril à chaque fois, quelle énergie, quelle volonté de sa part !
J’en sortais éreinté, abasourdi.
Jusqu’au jour où, après une nouvelle relecture et un nouveau re-grignotage, je l’ai quitté, le laissant dans son café favori, en me disant : » Jack, stop ! Tu arrêtes tout, tant pis ! » J’étais décidé à ne plus accepter une nouvelle relecture.
Chose étonnante, sans lui avoir dit cela, il a arrêté, c’était ok pour lui.
En fait, il était plus subtil, plus fin que je ne l’aurais cru. Il avait bien renvoyé la balle avec moi. Il avait su aller à la limite acceptable pour moi, l’auteur, il était humain.
Re-bravo, Jean ! Beau coup, bien joué, tu étais une fine raquette !
Il ne restait plus qu’à finaliser la première de couv’, la quatrième de couv’, le titre… ouf, ouf !
Résultat – Nettoyage par le vide – de Jack Voukassovitch aux Editions Jean Picollec, avec en première de couv’ la photo du macaron dit « Tueur de chars » d’un bataillon américain qu’un beau soldat noir avait donné à ma jolie maman en cadeau, elle avait 20 ans.
C’était dans la Manche, lors du débarquement en 1945.
Malheureusement, ce conte de fées s’était mal terminé, avec le décès de ce GI…
La vie se termine bien par la mort.
Car, de la même manière qu’un infarctus précède un autre infarctus, qu’un train précède un autre train, un accident vasculaire cérébral précède un autre accident vasculaire cérébral.
Je suis allé voir Jean à l’Hôpital Saint-Louis fin avril, sitôt averti par une de ses filles, Laurence. Les visites qu’il a eues se comptent sur les doigts des deux mains… ingratitude des hommes.
J’ai vu sa surprise, puis sa joie dans son regard de me voir. Moi, son dernier auteur…